dimanche 9 août 2015

Mes écureuils.

A la fin des années cinquante, j'ai été l'élève de CP de ma mère, institutrice en classe unique à Lussolle, Landes. Je me souviens d'un automne où un grand de la classe de certificat d'étude nous a emmené un matin un couple de bébés écureuils. Ma mère les a adoptés tout de suite. Ils passaient la journée d'école avec nous; se déplaçant d'un bureau à l'autre, d'un élève à l'autre. Ils trottaient sur nos tables de travail, reniflaient nos encriers. Et quand ils en éprouvaient le besoin, ils dormaient dans nos casiers  ou dans nos cartables. Nous ne faisions pas de bruit pour ne pas les effrayer, pas de gestes brusques non plus. Pas d'agitation intempestive. Au lieu de perturber la classe, ils la pacifiaient. Au lieu de rêvasser et de laisser vagabonder notre imagination, nous les regardions, nous les observions. Pendant plusieurs semaines ils ont enchanté nos journées "studieuses".

Le soir ma mère les ramenait à la maison. Il n'y avait pas la télé chez nous et pas de chauffage-central. Juste une très grande cheminée. Je me couchais plus tôt que les enfants d'aujourd'hui. Avant d'aller au lit, je mettais les deux écureuils dans une boîte à chaussures remplie de vieux chiffons. Je la fermais en mettant le couvercle et je déposais le tout dans un coin de la cheminée, à l'écart du feu qui dans la nuit s'éteignait. Mes écureuils passaient la nuit au chaud.

Il en a été ainsi pendant plusieurs semaines. Je me suis attaché à eux comme les enfants savent s'attacher aux animaux domestiques. Mais les écureuils ne sont pas des animaux domestiques. Un matin, au moment de partir pour l'école, plus d'écureuils dans la boîte à chaussures. Ma mère m'a dit pour calmer mes pleurs qu'ils avaient grandi et qu'ils s'étaient échappés pour vivre en forêt leur vraie vie d'écureuils. A l'époque j'ai accepté cette explication qui m'a apaisé. Mais des années plus tard je me suis demandé si en fait notre chat ne les avait pas tués et si ma mère ne m'avait pas protégé de cette cruauté de la vie animale en me racontant une belle histoire à dormir debout.

Les années ont passé, j'ai oublié cette période de mon enfance puis ma mère est décédée brutalement. Je m'étais préparé à sa mort car je la voyais décliner doucement mais je n'avais pas imaginé que cela irait si vite. Nous habitons aujourd'hui dans une maison entourée d'arbres, d'arbustes, de haies non taillées, c'est une véritable petite forêt vierge aux portes d'une petite ville d'Aquitaine. Le lendemain de la mort de ma mère mon plus jeune fils a trouvé un bébé écureuil tombé du nid au pied d'un de nos arbres. Il était entre la vie et la mort. Il l'a emmené dans sa chambre. Je lui ai raconté ma mère, Lussolle, la boîte à chaussures. Il lui a donné à boire, à manger et j'ai pensé l'écureuil sauvé. Il gambadait allégrement partout. A notre retour des obsèques de ma mère nous l'avons trouvé mort.

Je me suis alors senti à nouveau très mal. C'était comme une deuxième mort de ma mère. Elle me disait définitivement à Dieu.

Le temps a continué de passer. Un couple d'écureuils vit en permanence chez nous depuis plusieurs années maintenant. Tous les ans ils ont des petits. Plusieurs fois par mois je les vois sauter de branches en branches, s'approcher de la maison, des ses noyers, des ses noisetiers. Ils viennent visiter les mangeoires à oiseaux proches des baies vitrées.

Je les regarde, je pense à ma mère, à la vie qui coule de plus en plus vite comme le sable du sablier dont je voudrais pouvoir retenir les grains dans ma main. Le temps s'enfuit inexorablement. Les images du passé s'estompent de ma mémoire. Ainsi que le chagrin de la perte des êtres chers.

Photo: Google Images.

15 commentaires:

  1. Beaux souvenirs, images vivantes et parlantes. Les moments simples de cette histoire sont devenus les bases solides de l'homme d'aujourd'hui qui sait combien il doit à sa maman institutrice ! L'écran de la nature ne faisait aucun écran à la vie et la contemplation ouvrait à la vie, à ses joies et ses peines, voire à ses chagrins : boucle magique, instant éternel et délicat, quelle est belle la vie ainsi apprise, ainsi aimée, ainsi partagée !
    Mi1#9837;

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  2. Merci Mi bémol, j'avais ce texte en moi depuis longtemps déjà et j'hésitais toujours à le mettre en forme. Il se passe tellement de choses horribles de par le monde que j'hésite toujours d'écrire ainsi mes "bisournouseries".

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  3. Dyslexie dactylographique, n'est pas un écueil ! mais une caresse "maternelle" de plus dans cette page de vie enfin racontée. Bonne journée ! Ci♭

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  4. Je ne sais pas si aux sources Moncaut on retrouve la Pau de son land-eau, toujours est-il que ce lieu plutôt malsain(t) et pas très bien ceint ou tristement humain avec ses chiffons qui hument les Druides en difficulté font partie de ces lieux magiques, à quelques lieues de Franche-Comté, que j'eusse ignoré sans Jfs47. Je rencontre au passage une ferme solaire qui respire un autre air et fait oublier la pénombre humide des landes ! Si Lussole n'avait pas été contée, nous eussions été moins irradiés par les forces magiques d'hier et d'aujourd'hui. Mi♭ :-))

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    1. Bonjour Mi♭, je vais vous faire quelques confidences de plus. Ma mère ne m'a jamais emmené à ses sources qui sont à moins d'un km de l'école où elle enseignait alors lorsque j'étais son élève. Elle ne m'en a jamais parlé. Mon père grand chasseur de bécasses ne m'y jamais emmené et ne m'en a jamais parlé. C'est une personne qui vit en Lot-et-Garonne qui m'en a parlé il y a trois ou quatre ans à peine. Et j'y suis allé à partir des indications qu'elle m'a données alors. Et je suis alors repassé devant l'école de mon enfance pour y aller. M'en diriez-vous plus sur les lieux magiques de Franche Comté? Je suis prêt à m'en laisser conter... Mais si ça ne vous dit pas de m'en parler je n'en ferai pas tout un fromage. Bon j'arrête là mes blagues à 4 sous. Bonne journée à vous.

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    2. ces sources qui n'étaient pas du tout les siennes par conviction
      a -religieuse je pense

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  5. Pourquoi faire un fromage ? le Comté, parmi les 450 types de fromages commercialisés en France, est si bon... au palais, quand la santé vous laisse encore jouir de ses corps gras si savoureux !
    Les légendes et autres approches de lutins de ce pays franc-comtois qui m'adopta à mon adolescence, n'ont pas fait rêver ni imprégné ma culture, j'avais bien trop de choses à dominer pour me mettre au diapason d'un cursus scolaire qui galopait ! Quelques ouvrages d'histoires et de traditions locales ont pris place dans les rayons d'une bibliothèque, qui à l'ère d'internet ne fait que prendre la poussière, même avec 18 h de veille quotidiennes, de plus en plus souvent somnolentes, hélas. Je pense qu'à la place de votre maman je ne vous aurais jamais conduit sur un lieu pareil : la magie représentée est moins magique que celle imaginée !!! et savoir que toutes les sources ("doye" en franc comtois) ont été visitées par des nymphes et des satyres et des humains en mal de prodiges parfois, suffit à ma culture. Je préfère vivre ma relation spirituelle à partir de l'évangile et je laisse à d'autres les cérémonials bruyants et enfumés, en grottes et sous bois aujourd'hui encore pratiqués par certains ; ils devaient être moins néfastes que les drogues si peu extasiantes de nos discothèques !
    Mi♭

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    1. Ce matin, interrogé par une jeune femme de mon entourage, sur la violence qui est en nous, j'ai cherché de quoi lui répondre sur internet. J'ai trouvé trois liens qui m'ont intéressé dont un d'origine suisse. J'ai trouvé surtout un texte de Jean Vannier préface à un livre que je n'ai pas lu. En voici le lien: https://books.google.fr/books?id=1osObP9dwF4C&pg=PA8&lpg=PA8&dq=violence+en+moi&source=bl&ots=Zr_LVkslYt&sig=dlstLqqWJiMKraenwcPyvJUTyWM&hl=fr&sa=X&ved=0CFEQ6AEwB2oVChMIp4fh_-2ixwIVBEAaCh1w-whX#v=onepage&q=violence%20en%20moi&f=false. Vous m'avez fait connaître Lulu, vous venez dans votre commentaire d'évoquer votre relation spirituelle à partir de l'évangile, j'espère que ce texte retiendra votre attention.

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    2. Vous dormez peu. Par choix ou par contraintes?

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    3. Devinez ? Dommage collatéral et vieillesse avec ses artères bouchées se conjuguent pour miner mes nuits. Donner sa vie c'est un peu perdre un peu la sienne, mais on gagne tellement en humanité et donc, paradoxalement en joie, malgré les larmes et les étranglements qui vous serrent la poitrine tous les soirs, à minuit ou plus tard, quand de guère las, vous essayez d'abandonner à sa solitude votre conjointe, ses questionnements ses impossibilités de dire ses désirs et moi de les comprendre... alors le sommeil reste en veille, forcément !
      Mi♭

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    4. Artérite? Je pense que le prochain bouquin que je vais essayer de lire en entier sera celui présenté sur le lien suivant: http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Oser-parler-de-la-mort-_NG_-2006-10-27-517297

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  6. Une bonne lecture certainement.
    On ne l'entreprend que parce que déjà nous en avons nous mêmes pressentis les aspects essentiels : réussir sa mort c'est avant tout réussir sa vie... en la donnant !
    "Tout ce qui n'est pas donné est perdu", tout ce qui est donné est donc gagné en éternité, en résurrection... ma philosophie s'arrête là ! Le reste on verra ; comme dit l'évangéliste St Marc : "Plus tard tu comprendras" ! Mi♭

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  7. "Tout ce qui n'est pas donné est perdu", depuis plusieurs mois cela fait plusieurs fois que je rencontre cette phrase. Il est vrai que je participe à un déménagement et que tout ne peut pas être déménagé donc régulièrement revient la question "qu'Est-ce qu'on en fait?" Et que nous préférons donner que jeter. Sénèque disait déjà en son temps: " Nous sommes prisonniers de ce que nous possédons et esclaves de ce que nous voudrions avoir." :-)

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