samedi 10 janvier 2015

Le prophète.

"Le Prophète "est un livre du poète libanais Khalil Gibran. En voici un extrait:


"Alors un des juges de la cité se leva et dit, Parle-nous du Crime et du Châtiment.  
Et il répondit, disant :
C'est quand votre esprit erre au gré du vent,
Que vous, seul et imprudent, causez préjudice à autrui et par conséquent à vous-même.
Et pour ce préjudice, vous devez frapper et attendre dans le dédain à la porte des élus.
Comme l'océan est votre moi-divin ;
Il demeure à jamais immaculé.
Et comme l'éther il ne soulève que ceux qui ont des ailes.
Comme le soleil est votre moi-divin ;
Il ne sait rien des tunnels de la taupe, ni ne cherche dans les trous des serpents.
Mais votre moi-divin ne réside pas seul dans votre être.
Beaucoup en vous est encore humain, et beaucoup en vous n'est pas encore humain,
Mais comme un nain informe qui marche endormi dans la brume, à la recherche de son propre éveil.
Et de l'humain en vous je voudrais parler maintenant.
Car c'est lui et non votre moi-divin, ni le nain dans la brume, qui connaît le crime et le châtiment du crime.
Souvent je vous ai entendu parler de celui qui a commis une faute comme s'il n'était pas l'un de vous, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde.
Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en chacun d'entre nous,
De même, le malin et le faible ne peuvent sombrer aussi bas que ce qu'il y a aussi en nous de plus vil.
Et de même qu'une seule feuille ne jaunit qu'avec l'assentiment silencieux de l'arbre tout entier,
Le fautif ne peut commettre de fautes sans la volonté secrète de vous tous.
Comme une procession, vous marchez ensemble vers votre moi-divin.
Vous êtes le chemin et les voyageurs.
Et lorsque l'un de vous chute, il chute pour ceux qui sont derrière lui, les prévenant de la pierre qui l'a fait trébucher.
Oui, et il tombe pour ceux qui sont devant lui qui, bien qu'ayant le pied plus agile et plus sûr, n'ont cependant pas écarté la pierre.
Et ceci encore, dussent ces mots peser lourdement sur vos cœurs :
Le meurtre n'est pas inexplicable pour celui qui en est la victime.
Et celui qui a été dérobé n'est pas irréprochable d'avoir été volé.
Et le juste n'est pas innocent des méfaits du méchant,
Et celui dont les mains sont pures n'est pas intact des actes du félon.
Oui, le coupable est souvent la victime de celui qu'il a blessé.
Et plus souvent encore, le condamné porte le fardeau de l'innocent et de l'irréprochable.
Vous ne pouvez séparer le juste de l'injuste et le coupable de l'innocent ;
Car ils se tiennent unis devant la face du soleil, comme le fil noir et blanc tissés ensemble.
Et quand le fil noir rompt, le tisserand examine le tissu tout entier, ainsi que son métier.
Si l'un d'entre vous mène devant le juge la femme infidèle,  
Qu'il mette aussi en balance le cœur de son mari, et mesure son âme avec circonspection.
 
Et que celui qui voudrait fouetter l'offenseur, considère l'âme de celui qui est offensé.
Si l'un de vous punit au nom de la droiture et plante sa hache dans l'arbre tordu, qu'il en regarde les racines ;
Et en vérité, il trouvera les racines du bien et du mal, du fécond et du stérile, entremêlées ensemble dans le cœur silencieux de la terre.
Et vous, juges qui voulez être justes.
Quel jugement prononcez-vous à l'encontre de celui qui, bien qu'honnête en sa chair est voleur en esprit ?
Quelle sanction imposez-vous à celui qui tue dans la chair alors que son propre esprit a été tué ?
Et comment poursuivez-vous celui qui dans ses actes trompe et oppresse,
Mais qui est lui-même affligé et outragé ?
Et comment punirez-vous ceux pour qui le remords est déjà plus grand que leurs méfaits ?
Le remords n'est-il pas la justice rendue par cette loi même que vous voulez servir ?
Cependant, vous ne pouvez pas infliger le remords à l'innocent ni en libérer le cœur du coupable.
Inconsciemment il appellera dans la nuit, afin que les hommes se réveillent et se considèrent.
Et vous qui voulez comprendre la justice, comment le ferez-vous sans regarder toutes choses en pleine lumière ?
Alors seulement vous saurez que l'homme droit et le déchu sont un seul homme debout dans le crépuscule, entre la nuit de son moi-nain et le jour de son moi-divin.
Et que la clef de voûte du temple n'est pas plus haute que la pierre la plus profonde de ses fondations."




Source:

http://luluencampvolant.over-blog.com/article-le-crime-et-les-chatiments-khalil-gibran-125344820.html








6 commentaires:

  1. J'ai été à la manifestation à Lyon cet après-midi, au milieu des "je suis Charlie", une femme tenait un panneau sur lequel était écrit "je suis mon pire ennemi"... Il me semble que pour être quelqu'un de juste, il faut être capable de s'identifier à chaque autre que l'on rencontre, sans complaisance ou sentimentalisme, y compris à ceux dont on se sent les plus éloignés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonsoir Ismène, oui c'est une des idées de K G ce que vous venez de m'écrire. Je traduis son texte par l'idée que dans tout monstre il peut y avoir encore une trace d'humanité et dans chacun de nous qui sommes bien entendu bons et merveilleux une trace de monstruosité.

      Supprimer
    2. Voici aussi ce qu'un ami m'a envoyé par mail:

      Texte de Julos Beaucarne à la mort de sa femme poignardée par un déséquilibré en 1975.


      Amis bien-aimés, Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor, un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa peau douée. C'est la société qui est malade, il nous faut la remettre d'aplomb et d'équerre par l'amour et l'amitié et la persuasion. C'est l'histoire de mon petit amour à moi, arrêté sur le seuil de ses trente-trois ans. Ne perdons pas courage, ni vous ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et mes deux chéris qui lui ressemblent. Sans vous commander, je vous demande d'aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches ; le monde est une triste boutique, les coeurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir, il faut reboiser l'âme humaine. Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires vous retrouverez ma bien-aimée ; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour. Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses. On doit manger chacun, dit-on, un sac de charbon pour aller en paradis. Ah ! comme j'aimerais qu'il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles. En attendant, à vous autres, mes amis de l'ici-bas, face à ce qui m'arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd'hui : je pense de toutes mes forces qu'il faut s'aimer à tort et à travers.

      Supprimer
  2. https://www.youtube.com/watch?v=6D2pxgAU97k

    RépondreSupprimer
  3. Je connais bien ce texte de Julos Beaucarne, l'ayant étudié au lycée, merci pour le lien ! Disons que chacun s'estime juste et merveilleux pour les plus orgueilleux ou au moins pas si coupable et mauvais, sinon on ne pourrait pas garder l'envie de vivre.

    RépondreSupprimer