Acteur de premier plan du mouvement communiste entre-les-deux-guerres, orateur de talent, le député des paysans du Lot-et-Garonne eut son heure de notoriété dans les années trente, particulièrement entre 1936 et 1939 alors qu’il présidait la commission de l’Agriculture de la Chambre. Mais celui que tout destinait aux plus hautes fonctions fut remis à la base à la Libération et oublié. Au-delà de ses désaccords avec le « tournant » de septembre-octobre 1939 ou de son inaction dans les années qui suivirent, on peut se demander si son indépendance d’esprit, sa volonté de défendre une position politique personnelle et de ne rien cacher de ses analyses au sein du Parti communiste ni de ses divergences, ne furent pas à l’origine de cet effacement.
Fils unique de Jean Jean et Anne Castaing, métayers devenus petits propriétaires à Samazan (lieu dit Latapie), Jean Jean, comme son père et son grand-père, mais prénommé habituellement Renaud (avec la célébrité son prénom d’emprunt sera associé à son nom pour devenir parfois Renaud-Jean), après des études primaires qui auraient révélé son aisance intellectuelle, travailla jusqu’à la guerre comme cultivateur sur la petite exploitation familiale de six hectares. Trente ans plus tard, en prison, il prendra plaisir à décrire, sans misérabilisme, et avec un souci d’authenticité, les travaux avec son père et sa mère, une femme qui resta toujours proche de lui. Le futur spécialiste des questions paysannes du Parti communiste eut donc une expérience professionnelle pendant plus d’une décennie. Ce jeune paysan qui n’aimait pas aller au bal de Samazan (c’est du moins ce qu’il écrivit le 6 septembre 1914) consacrait ses loisirs à la lecture.
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(1) Renaud Jean subit d’abord l’influence du communiste libertaire Henri Beaujardin , un cultivateur de vingt ans son aîné, qu’il rencontrait plusieurs fois par an aux foires de Bouglon. Le « père Barbassou » auteur des « Propos d’un paysan » dans le Libertaire, lui prêtait et lui commentait la littérature libertaire. A sa mort, en 1928, Renaud Jean dira de cet ami de plus de vingt ans (qui fut son témoin lors de son mariage en 1915) : « Nous sommes quelques-uns dans notre coin de Gascogne qui lui devons, au moins en partie, notre conscience de classe, que son impitoyable critique a aidé à se débarrasser de ces dogmes pourvoyeurs d’esclavage matériel et intellectuel : Dieu et Patrie » (Le Travailleur, 7 janvier 1928). Donc, après avoir été quelque peu sensible aux idéaux libertaires, il se rallia au socialisme en 1907 et adhéra au groupe socialiste de Marmande, à l’âge de vingt ans, en février-mars 1908. Cet engagement précoce ne peut être attribué à l’influence directe de son père qui resta radical-socialiste jusqu’à sa mort en 1931. Conseiller municipal de Samazan depuis 1904, Jean Jean père fut réélu le 5 mai 1912 à la tête de la liste radicale socialiste et resta maire jusqu’en 1919. Les sentiments républicains de la famille remontaient aux générations précédentes : « Tu vois où en est tombée la République pour laquelle mon père et mes grands-parents ont lutté » pouvait-il écrire à sa mère en février 1940. On sait peu de chose de son service militaire si ce n’est cette notation d’août 1914 : « Je n’ai jamais facilement supporté les embêtements militaires (…) Je me retrouve dans le même état d’esprit qu’au 88e avec mes chefs tant détestés » (Carnet de guerre, op. cit.).
RépondreSupprimer(2)Renaud Jean aurait fait, à une date non précisée, une tournée de conférences sur les questions rurales en développant le thème de la nécessaire union entre la classe ouvrière et les travailleurs de la terre. Ses qualités d’orateur en firent un des pionniers du socialisme dans le Lot-et-Garonne, particulièrement dans le Marmandais. Mais, en 1910, il jugea que le Parti socialiste SFIO évoluait vers le parlementarisme et ne reprit pas sa carte en 1911.
RépondreSupprimerLa Première Guerre mondiale allait bouleverser sa vie. Le carnet qu’il tint pendant l’été 1914 témoigne de son opposition à la guerre, de ses sentiments socialistes et internationalistes, comme de sa maturité et de sa maîtrise des idées. Le jeune paysan, qui un moment envisagea de rendre ses galons de caporal, participa avec le 24e régiment d’infanterie coloniale aux batailles de Charleroi, de la Meuse et de la Marne où il fut gravement blessé, le 8 septembre, dans un combat au corps à corps sur le Mont-More près de Vitry-le-François. La cuisse fracturée, il fut hospitalisé et c’est au lycée d’Agen transformé en hôpital qu’il se lia avec une agrégée de sciences naturelles qui faisait fonction d’infirmière. Isabelle Mendès (elle serait une lointaine parente de Pierre Mendès France), née le 4 mai 1882 à Bordeaux (donc de cinq ans son aînée), fille d’un employé de commerce (plus tard fondé de pouvoir de l’entreprise H. Thompson à Bordeaux), fut élève à l’École normale de Sèvres. Celle qui entendit alors « l’appel irrésistible de ton ardeur, de ta volonté, de ta conscience » (lettre du 25 décembre 1939) fut la compagne de sa vie et, sans être elle-même une militante, joua un rôle de confidente lui permettant de n’être jamais seul, même dans l’adversité politique. Ils se marièrent le 30 mars 1915 à Samazan. Renaud Jean, réformé, consacra sa convalescence à acquérir une culture qui l’amena au niveau du brevet. Eut-il un diplôme ? Rien ne l’indique. Toujours est-il qu’il entra comme professeur auxiliaire d’espagnol à l’école pratique d’Agen en mai 1916 et y resta jusqu’en septembre 1919, date à laquelle, malgré ses excellentes notes professionnelles, la titularisation lui fut refusée, « pour motifs politiques » dira-t-il. Officiellement, il était en surnombre après le retour à la vie civile de titulaires du professorat industriel ou commercial.
(3) En quelques années, il était devenu un des militants socialistes les plus connus du département. En décembre 1916 il était venu renforcer la dizaine de socialistes d’Agen tout en s’affirmant d’emblée favorable à la « minorité » pacifiste. Il donna à celle-ci la cohésion et la méthode qui lui manquaient. Avec Jean Sempastous* et le syndicaliste Ernest Sarrou*, il gagna à ses positions des responsables cheminots et des métallurgistes. Fin septembre 1918, l’ancienne direction fédérale avec Aristide Fieux et Marius Alibert* démissionna. Renaud Jean devint secrétaire fédéral. Le mois suivant, Ernest Sarrou prit le secrétariat de la section d’Agen. Dès lors le Lot-et-Garonne disposa d’une direction socialiste dynamique, aidée à partir d’octobre 1919 par un journal, le Travailleur. Le récit émouvant qu’il laissa du moment où, fin avril 1919, les militants d’Agen apprirent la révolte de la mer Noire, témoigne de son attachement à la Révolution russe (préface à La Révolte de la Mer Noire d’André Marty*).
RépondreSupprimerRenaud Jean, mutilé de guerre (invalide à 30 %, il resta boiteux), bon orateur, fut une tête de liste solide pour les élections législatives du 16 novembre 1919. Avec le médecin Arthur Caubon (voir Jean Arthur Caubon* , le professeur Paul Béjambes* et le cheminot Jean Sempastou, la liste doubla les voix socialistes de 1914 mais sans menacer les autres listes. Renaud Jean qui devançait ses propres colistiers de quelques centaines de voix, était avec 9 493 voix loin derrière le ministre Leygues (25 710 voix) ou l’avocat Fauvel (13 881 voix sur 84 453 inscrits).
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