"On voit de quel funeste poison est un premier ministre à un royaume, soit par intérêt, soit par aveuglement. Quel qu'il soit, il tend avant tout et aux dépens de tout à conserver, affermir, augmenter sa puissance; par conséquent son intérêt ne peut être celui de l'Etat qu'autant qu'il peut concourir ou être compatible avec le sien particulier. Il ne peut donc chercher qu'à circonvenir son maître, à fermer tout accès à lui, pour être le seul qui lui parle et qui soit uniquement le maître de donner aux choses et aux personnes le ton et la couleur qui lui convient, et pour cela se rendre terrible et funeste à quiconque oserait dire au roi le moindre mot qui ne fût pas de la plus indifférente bagatelle. Cet intérêt de parler seul et d'être écouté seul lui est si cher et si principal qu'il n'est rien qu'il n'entreprenne et qu'il n'exécute pour s'affranchir là-dessus de toute inquiétude. L'artifice et la violence ne lui coûtent rien pour perdre quiconque lui peut causer la moindre jalousie sur un point si délicat et pour donner une si terrible leçon là-dessus que nul sans exception ni distinction n'ose s'y commettre. Par même raison, moins il est supérieur en capacité et en expérience, moins veut-il s'exposer à consulter, à se laisser remplacer par délégation de pouvoir, à choisir sous lui de bons ministres, soit pour le dedans, soit pour le dehors. Il sent que, ayant un intérêt autre que celui de l'Etat, il réfuterait mal les objections qu'ils pourraient lui faire, parce que son opposition à les admettre viendrait de cet intérêt personnel qu'il veut cacher; c'est pour cette raison, et par crainte d'être démasqué, qu'il ne veut choisir que des gens bornés et sans expérience, qu'il écarte tout mérite avec le plus grand soin, qu'il redoute les personnes d'esprit, les gens capables et d'expériences; d'où il résulte qu'un gouvernement de premier ministre ne peut être que pernicieux."
Saint Simon (1675/1755)
"Mémoires"
Bien pensé et donc bien écrit. Une bagatelle qui a du poids et, hélas de la saveur. Elle a un parfum d'éternité ! Le "tous pourris" de nos contemporains exprime plus pauvrement, certes, cette clairvoyance saint simonienne. Toutefois s'il y a une part de vérité dans de tels arguments, dont on pourrait trouver maintes illustrations dans les comportements de nos monarques démocratiques, je ne saurais m'aligner sur cette vision purement égoïste, intéressée, voire cynique de ceux qui exercent un pouvoir, que ce soit au sein d'une modeste association, d'une collectivité locale ou dans les hautes sphères du gouvernement...
RépondreSupprimerOui il y a plus de 22 millions de bénévoles dans notre pays qui se dépensent sans compter dans des milliers d'assos et qui font bien ce qu'ils font et qui le font sans bruit ni tintamarre médiatique.
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