mardi 9 février 2016

L'ombre du terrorisme.



Cet été, nous avons passé une journée à Toulouse à flâner dans les rues piétonnes et sur la place où se trouve la statue grandeur nature de Claude Nogaro. Nous avons laissé notre voiture à la première entrée possible dans la ville par métro. A l’aller comme au retour, ce sont des jeunes femmes non voilées d’origine arabe qui nous ont offert leur siège. Nous sommes un vieux couple. Nous n’avons pas été choqués par les femmes voilées dans les rues piétonnes ni par les hommes (barbus ou non) en djellaba ni par les hommes qui portent la kippa. Sur une place, nous sommes restés longtemps en discussion avec de vieilles femmes gitanes d’origine andalouse. Sans nous lire les lignes de la main, elles ont fini par nous dire assez exactement qui nous étions. Ce n'était pas sorcier pour elles de nous "lire". Ce n’étaient pas des sorcières mais de vieilles femmes qui avaient l’expérience de la vie, un grand sens de l’observation du genre humain. Plusieurs fois dans la discussion, elles nous ont dit : « Nous ne sommes pas dangereuses, nous ne sommes pas des terroristes. » Nous avons passé une belle journée dans Toulouse. Ce qui nous a choqué et nous choque encore, c’est qu’un jeune homme ait pu tuer des enfants dans une maternelle parce qu’ils étaient juifs. Nous ne sommes pas convaincus que la loi interdisant le port du foulard et demain peut-être la loi sur la déchéance de nationalité nous protègent de tels crimes contre l’humanité.

La semaine dernière, nous étions à Montauban. Dans une rue près de la gare, pris dans une file de voitures qui n'avançaient plus. Une jeune femme d'origine arabe s'approche près de la fenêtre côté passager. Je baisse la vitre. Elle me dit qu'elle est en panne de voiture. Elle a appelé son assurance qui a envoyé une dépanneuse. Sa voiture se trouve maintenant dans un garage. Elle me demande si je peux l'emmener à Castelsarrasin. J'ai un moment d'hésitation, de doute. C'est vrai ce qu'elle me dit ou "elle me raconte des salades" ? Nos regards se croisent. Dans ses yeux, sur son jeune visage, sur ses épaules, je sens de la lassitude, de la fatigue, de la résignation. Je décide de la faire monter dans notre voiture. Nous sortons péniblement de Montauban et de ses embouteillages. Nous prenons la direction de Castelsarrasin. La jeune femme engage la discussion avec nous. Elle a 33 ans. Elle est mère de deux jeunes enfants. Elle travaille et jongle avec ses horaires et ceux de la crèche et de l'école. Je lui pose des questions sur sa famille, ses origines. Elle répond à mes questions. Je réponds aux siennes. Comme pour chacun de nous et malgré son jeune âge, elle a déjà eu sa part de joies, de chagrins et de deuils. Elle nous dit son détachement et son éloignement de la religion. Elle nous affirme que sa mère, marocaine vivant en France, souhaiterait que sa fille aille davantage au Maroc. Mais nous dit-elle, au bout de deux jours au Maroc je m'ennuie. Mon pays c'est ici. Je suis né en France, je vis et travaille en France. Je suis française. "C'est ici que je me sens chez moi." Nous voici déjà dans Castelsarrasin. Je lui propose de l'emmener à l'adresse où elle se rend. Elle me guide dans les rues de la ville. Je m'arrête là où elle veut. Elle descend et nous remercie chaleureusement. Nous nous disons au revoir gentiment. Nous nous reverrons probablement jamais.

Il est parfois difficile d'être artisans de paix et de se défaire des petites peurs qui nous habitent. L'ombre du terrorisme pèse sur nous.




2 commentaires:

  1. La goutte d'eau d'un colibri a fait la joie d'un équipage éphémère et imprévu ; la peur n'a pas paralysé le militant ; je ne suis pas certain que j'en aurais fait autant ! Dans le domaine de l'autostop il y a longtemps que j'ai tout stoppé ! Par contre depuis 2006 j'ai accueilli, même à table, maghrébins et maghrébines intervenants soit pour des travaux exceptionnels soit pour l'aide à la personne. Je sais qu'ils ont été surpris par "l'hospitalité" reçue. Je sais que j'ai essayé de ne pas être trop critique ou catégorique en matière de mœurs ou de religion et que je me suis gardé d'être fermé à la culture qui les imprégnait. Les faits que vous rappelez et qui se sont propagés jusqu'aux attentats de novembre 2015, les blessaient humainement et religieusement.

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    1. Bonjour Mi♭, les guerres modernes font beaucoup de victimes civiles et n'épargnent guère les femmes, les enfants et les personnes âgées. Nous avons continué à rouler vers Agen et je pensais alors que chez nous aussi en ce moment pour beaucoup de jeunes femmes d'origine arabe la vie actuelle ne doit pas être très facile, de même pour une jeune maman juive avec de jeunes enfants. Leur sort bien entendu n'a rien à voir avec celles qui sont en pleine zone de guerre mais la situation présente doit être tout de même stressante et source d'inquiétudes,de craintes et de soucis.

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