Pacôme, le paysan, qui fumait tranquillement sa pipe derrière le poêle et écoutait cette conversation, pensa : Comme ma femme a raison ! Grâce à notre petite mère la Terre, nous sommes plus sages, et nous ne songeons guère aux folies. Si, seulement, notre propriété était plus grande, alors je braverais tout, même le diable.
Or, ce dernier, qui était aussi dans la chambre, entendant ce discours et la réflexion du paysan, se dit : « Ah ! tu ne me craindrais pas si tu avais plus de terre à cultiver ! Eh bien ! je vais t’en donner, et tu verras ! »
Il y avait, près de chez Pacôme, une petite propriétaire d’une terre d’environ cent vingt déciatimes. Elle vécut en très bons termes avec lui, jusqu’au jour où elle engagea, comme intendant, un ancien militaire en retraite, qui infligea tant de vexations aux paysans, et les mit si souvent à l’amende, que tout le village en était consterné.
Pacôme, surtout, subissait la mauvaise humeur du nouvel intendant. C’était un jour son cheval qui mangeait quelques épis d’avoine, un autre jour, la vache qui pénétrait au jardin, une autre fois, les veaux avaient mangé de jeunes pousses. Ça n’en finissait pas. Le paysan payait ses amendes, et déversait ses colères rentrées sur sa femme et ses enfants. On apprit enfin que la propriété était à vendre, et que l’intendant voulait l’acheter. « Si ce méchant homme devient propriétaire, nos malheurs ne sont pas finis, dirent les paysans réunis, allons demander à cette dame de vendre son bien à la commune. »
Ils lui offrirent une somme plus forte que celle qu’offrait l’intendant, et la commune devint propriétaire du domaine. Les paysans voulurent alors partager le bien entre eux, mais comme ils ne parvenaient point à s’entendre, ils décidèrent que chacun d’eux achèterait autant de terre qu’il en pourrait payer.
Léon Tolstoï (1868-1910)
Qu’il faut peu de place sur terre à l’homme
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