dimanche 27 mars 2016

11 novembre 1941 au matin.

"En apparence, bien des semaines ont passé et j'ai vécu un nombre incalculable de choses - et pourtant me revoilà devant le même problème: ce besoin, cette fantaisie ou cette chimère (comme on voudra) de vouloir posséder un seul être pour toute une vie, il faut absolument le réduire en miettes. Ce désir d'absolu, il faut le pulvériser. Et ce ne sera pas un appauvrissement de l'être, mais justement un enrichissement. Une promesse de subtilité, de nuances. Accepter dans les liaisons un commencement et une fin, y voir un fait positif et non une raison de tristesse. Ne pas vouloir s'approprier l'autre, ce qui ne revient d'ailleurs pas à renoncer à lui. Lui laisser une liberté totale, ce qui n'implique nulle résignation. Je commence  à discerner maintenant la nature de ma passion dans mes relations avec Max. C'était le désespoir de sentir l'autre finalement inaccessible qui me portait au comble de l'excitation. Mais je voulais atteindre l'autre de façon probablement erronée. Trop absolue. Et l'absolu n'existe pas. La vie et les rapports humains sont nuancés à l'infini, il n'y a jamais rien d'absolu ou d'objectivement vrai - je le sais, mais encore faut-il que ce savoir vous entre dans le sang, dans la chair et pas seulement dans la tête, il faut le vivre. J'y reviens toujours, et il n'est pas trop d'une vie pour s'y entraîner: la vie telle qu'on l'accepte dans sa philosophie personnelle, on doit la vivre aussi dans son affectivité; c'est le seul sentiment d'harmonie."


16 commentaires:

  1. Etty Hillesum, page 72, Editions du Seuil, collection "Points".

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  2. Cette relation avec son voisin marié, Max, dans un contexte de guerre certes, m'a beaucoup interpellé, même si la profondeur d'âme d'Hillesum est extraordinaire.

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  3. Je n'en suis qu'au début de son livre et je suis surpris par la personnalité d'Etty : je retrouve en elle les jeunes femmes de 1968 et des années qui sont suivi. Je la trouve "en avance sur son époque". Et je retrouve aussi dans ce qu'elle écrit un écho de certaines jeunes femmes d'aujourd'hui qui veulent bien parler ou écrire avec moi. Ce matin j'ai retenu la phrase suivante: "Cette peur de ne pas tout avoir dans la vie, c'est elle justement qui nous fait tout manquer. Elle vous empêche d'atteindre l'essentiel."

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  4. Hier la phrase suivante avait retenu mon attention et réveillé des souvenirs: "Il m'arrive souvent, ces derniers temps, de trouver plus facile de mourir que de vivre."

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  5. C'est une mine de convictions et de conversions, convergences...Femme/juive libérée, oui !Mais très attirante par son être.

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  6. Oui. D'habitude je lis très vite et de manière gloutonne. Là je me hâte très lentement et son livre m'accompagne dans mes déplacements.Je le lis comme je bois un thé brûlant: par petites gorgées et je laisse refroidir entre deux gorgées. :-)

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  7. Il est des lectures rapides qui se contentent de se limiter à la jaquette,(qualité du support, style graphique, ébauche du sujet, éventuellement un mot sur l'auteur) à la préface et au sommaire avec qq pages par-ci par-là, mais, pas celui-ci qui invite même à la relecture, tant il est riche, profond !

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  8. Tout à fait d'accord avec vous Mi♭.

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  9. "Je commence à me rendre compte que lorsqu'on a de l'aversion pour son prochain, on doit en chercher la racine dans le dégoût de soi-même." Etty Hillesum.

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  10. Et voici celui de ce matin :-)

    "Il faut laisser à chacun la liberté de vivre selon sa nature. A vouloir modeler l'autre sur l'image qu'on se fait de lui, on finit par se heurter à un mur et l'on est toujours trompé, non par l'autre, mais ses propres exigences. (...) On ne réfléchira jamais trop à la nécessité de se libérer vraiment de l'autre, mais aussi de lui laisser sa liberté en évitant de se former de lui une représentation déterminée. Il reste assez de domaines à explorer pour l'imagination sans la faire travailler sur les personnes aimées." (Etty Hillesum)

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  11. Toujours très vrai ! Quelle compréhension de l'être humain ! Orane

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  12. La même pensée pourrait être appliquée à l'image qu'on se fait de Dieu : na pas le prendre comme il se fait connaître mais le plier à nos exigences et finalement le rejeter comme un ingrat, bien que "être aimé"!!!

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    1. Oui c'est vrai. J'ai souvent entendu la phrase suivante: "Ce n'est pas Dieu qui a créé l'homme. C'est l'homme qui a créé Dieu." Nous parlons souvent à sa place. Nous agissons en son nom. Nous triturons la réalité parce que nous voulons qu'elle soit ce que nous voudrions qu'elle soit. Et nous finissons par dire mais si Dieu existe pourquoi permet-il telles ou telles horreurs alors que nous devrions nous demander pourquoi nous nous les tolérons.

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  13. Agir en son nom : attitude proclamée, attitude accueillie ; attitude ruineuse, attitude salvatrice. Arrogance, Humilité. Rejet et reconnaissance. Servir Dieu et non se servir de Dieu : tout est question d'attitude et d'aptitude. Diables ou démons c'est un choix de vie !

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